Éditorial : Numéro spécial–L’itinérance au Canada
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Le Canada est perçu comme étant un des pays les plus prospères du monde. Il est membre du G7 et se voit classé régulièrement dans les premiers rangs de l’Indice de développement humain. Mais l’expérience canadienne en matière d’itinérance démontre qu’une marée montante ne fait pas toujours montertous les bateaux.
Un facteur qui explique les taux d’itinérance au Canada est qu’il est pingre lorsqu’il vient à son système d’assistance sociale, surtout comparéà d’autres pays développés. En fait, en termes de pourcentage du Produit intérieur brut, le taux des dépenses publiques sociales du Canada est inférieur à celui de tous les autres pays membres du G7.1
De même, le degré auquel les gouvernements du Canada investissent dans le logement pour les personnes à faible revenu est modeste lorsqu’on le compare à d’autres pays riches. Seuls 3,5% du parc de logements total du Canada sont des logements sociaux ou non marchands, moins de la moitié du taux moyen des pays membres de L’Organisation de coopération et de développement économiques.2
Ce qui n’aide pas est que pour chaque nouvelle unitéde location abordable ajoutée au stock de logements du Canada, 15 autres sont perdues en raison d’une «érosion des stocks.»3
Ceci peut être expliqué par trois raisons principales: 1) les logements de location privée existants au bas de l’échelle du marché ne sont pas préservés par des entités publiques ou à but non lucratif (dans plusieurs cas, ces logements sont récupérés par des fiducies deplacement immobilier dans l’objectif d’augmenter les loyers); 2) on crée très peu d’unités de locationhors marché ou d’unités de marché lourdement subventionnées; et 3) le secteur privé ne construit plus autant de nouvelles unités de logement que par le passé. En ce qui a trait à l’itinérance, le portrait financier est grave. On devrait espérer que le gouvernement fédéral canadien serait un leadeur dans ce dossier et qu’il encouragerait les gouvernements provinciaux, territoriaux et municipaux à emboîter le pas. Toutefois, pour chaque 13$ investi dans le domaine de l’itinérance par d’autres sources (principalement des gouvernements provinciaux et municipaux), le gouvernement fédéral du Canada n’investit qu’un dollar.4
Le traitement canadien envers les Peuples Autochtones (c.-à-d., les peuples Premières Nations, Inuit et Métis) a été horrifique et a contribué au fait que les personnes Autochtones souffrent d’itinérance à des taux disproportionnellement élevés. À l’échelle nationale, les hommes Autochtones sont 10 fois plus susceptibles à utiliser un logement d’urgence que les hommes non-Autochtones, tandis que les femmes Autochtones sont 15 fois plus susceptibles que les femmes non-Autochtones à faire de même.5
Plusieurs facteurs contribuent à ces chiffres, y compris: les politiques assimilatrices; la mise en adoption de plusieurs jeunes Autochtones dans l’objectif de détruire les cultures et langues autochtones; un traumatisme intergénérationnel produit par le système des pensionnats autochtones du Canada; un racisme continu; et le sous-financement du bien-être social à la fois dans les communautés autochtones et en contextes urbains. Plus grave encore, le nombre de décès liés à la droguedurant la pandémie de la COVID-19a augmenté de façon considérable, surtout chez les personnes vivant en situation d’itinérance.6
Malgré ces défis, la situation canadienne en matière d’itinérance n’a pas été que sombre. En 2014, les résultats de l’étude At Home/Chez soi ont été publiés. Cette étude a suivi plus de 2 000 participant·e·s dans cinqvilles canadiennes. La plus ambitieuse étude aléatoire et contrôlée de l’histoire canadienne, elle a été financée entièrement par le Gouvernement du Canada. Les participant·e·s ayant été interviewé·e·sàtous les trois mois sur une durée de deux ans, l’étude a confirmé ce que plusieurs savaient déjà: fournir un logement abordable et des ressources de soutien professionnel (c.-à-d., Logement d’abord) aux personnes vivant dans des situations d’itinérance est une façon efficace de les sortir de ces situations-là. L’étude a aussi démontré que l’approche Logement d’abord compense les dépenses qu’elle engage,notamment aux secteurs de la santé et de la justice. Les défenseur·euse·s, les chercheur·euse·set les praticien·ne·sde l’approche avaient maintenant des preuves solides de son efficacité.
En 2015, Justin Trudeau est devenu le premier ministre du Canada et son gouvernement a signalé une nouvelle ère d’implication fédérale dans les secteurs du logement et de l’itinérance. On compte dans cette nouvelle approche la Stratégie nationale sur le logement, dévoilée en novembre 2017, et les améliorations de financement récentes en lien avec la pandémie de la COVID-19. Un signe particulièrement encourageant sous Trudeau a été l’Initiative pour la création rapide de logements (ICRL). Lancée en octobre 2020, celle-ci offre du financement important destiné au logement à but non lucratif, y compris le logement modulaire (c.-à-d., du logement construit rapidement dans une fabrique), l’acquisition de terrains et le convertissement de logements actuels en logements abordables. Quoique plusieurs projets financés par l’ICRL attendent du financement opérationnel de la part de leurs gouvernements provinciaux respectifs, l’ICRL est déjà vue comme étant l’initiative fédérale canadienne en matière de logement la plus prometteuse pour cibler l’itinérance chronique (c.-à-d., à long terme).
La pandémie de la COVID-19 a créé de nombreux défispar le biais d’éclosions dans les logements d’urgence et une augmentation des décès chez les personnes vivant en situation d’itinérance. Il y a tout de même eu des développements positifs. Par exemple, les fonctionnairesont augmenté la distanciation physique en reconfigurant les espaces des refuges existants, en acquérant de nouveaux espaces temporaires et en louant des chambres d’hôtel.
Le gouvernement Trudeau a fait de nouveaux investissements substantiels en matière d’itinérance pendant la pandémie. En plus de l’ICRL, il a annoncé dufinancement complémentaire temporaire important à Vers un chez-soi, le véhicule nationalcanadien pour le financement relié à lalutte contre l’itinérance.
De partenariats importants ont aussi émergéentre des gestionnaires de projets reliés à l’itinérance et des responsables de la santé publique. Par exemple, davantage de centres de soins d’urgence de Toronto se sont mis à offrir des soins de santé primaire (c.-à-d., des services de médecins de famille et de personnel infirmier) sur les lieux. Aussi durant la pandémie, certains refuges pour sans-abris de la Ville Reine offrent même des services de pharmacie réguliers à partir de leurs installations. Dans ce même sens, on a aussi noté une présence accrue d’agents paramédicaux et d’infirmières-praticiennesdans les refuges de Calgary.
Des innovations importantes en termes d’approches priorisant la réduction des méfaits ont aussi vu le jour au Canada pendant la pandémie. Par exemple, des services de consommation supervisée avec un approvisionnement sûr de cannabis sont tous les deux offerts dans un site d’isolementdésigné pour les personnes vivant en situation d’itinérance à Ottawa.
De plus, les autorités territoriales de Yellowknife ont distribué de l’alcool dans les sites d’isolement pour les personnes vivant en situation d’itinérance. Il reste toujours des défisdans ce secteur, y compris: une augmentation marquée dans la visibilité de gens dormant à l’extérieur dans plusieurs villes (ainsi qu’un débat public intense concernant comment l’adresser au court terme); l’aggravation de la crise des surdoses; un manque de coopération de la part des établissements correctionnels (c.–à–d., qui libèrent souvent des détenus directement dans l’itinérance); et l’itinérance nouvellement causée par des facteurs économiques. Bref, des taux d’investissement public social inadéquats ont contribué à la prolifération de l’itinérance dans un des pays les plus riches du monde. Mais un intérêt renouvelé récent en matière delogement abordable et d’itinérance par le Gouvernement du Canada, en plus d’innovations locales reliées à la pandémie, pourraient aider au Canada à se remettre sur la bonne voie. Sur cette toile de fond, cette édition spéciale du International Journal on Homelessness porte exclusivement sur le Canada.
Nick Falvo, PhD
Rédacteur en chef régional, Amérique du Nord
Cet éditorial a été initialement publié ici. Il a été réaffiché avec l’autorisation de la revue.
1 OCDE. Dépenses sociales. Données tirées de https://data.oecd.org/fr/
2 OCDE. Politiques publiques en faveur du logement abordable. Données tirées de https://www.oecd.org/fr/
3 Pomeroy, S. (2020, May). Why Canada needs a non-market rental acquisition strategy. Consulté au https://www.focus-consult.com/
4 Emploi et développement social Canada. (2018). Rapport final sur l’évaluation de la Stratégie des partenariats de lutte contre l’itinérance, 11 mai 2018. Consulté au https://www.canada.ca/fr/
5 Falvo, N. (2019, October 3). The use of homeless shelters by Indigenous peoples in Canada [blog post]. Retrieved from https://nickfalvo.ca/
6 Milaney, K., Passi, J., Zaretsky, L., Liu, T., O’Gorman, C. M., Hill, L., & Dutton, D. (2021). Drug use, homelessness and health: responding to the opioid overdose crisis with housing and harm reduction services. Harm Reduction Journal, 18(1), 1–10.