La lettre de mandat du ministre du Logement

Jan 8, 2022

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Le 16 décembre 2021, les lettres de mandat des ministres fédéraux canadiens ont été rendues publiques. La lettre du ministre du Logement et de la Diversité et de l’Inclusion, disponible ici, contient un ensemble important d’ordres à suivre.

En voici 10 faits saillants.

1. Les lettres de mandat présentent les priorités du Gouvernement du Canada selon le premier ministre. Selon Michael Mendelson : « Les lettres de mandat, émises par le premier ministre, dictent les initiatives que les ministres ont l’autorisation d’entreprendre durant leur mandat. Vraisemblablement, ça sous-entend que le premier ministre appuiera les ministres à obtenir du financement et à combler d’autres besoins (p. ex. temps législatif) pour leur permettre de remplir leurs mandats, quoique les ministres doivent tout de même suivre les processus d’approbation réguliers. Cela n’empêche pas complètement les ministres d’entreprendre d’autres initiatives, mais l’appui du gouvernement central pour des initiatives extramandataires pourrait être limité. »[1]

2. Les lettres de mandat permettent aux ministres d’être redevables au premier ministre. Selon Robert Shepherd : « La lettre sert d’entente de rendement pour le ministre qui est ensuite traduit par de hauts fonctionnaires en activités mesurables, rapportées à des intervalles réguliers au Bureau du Conseil privé. » [2] En d’autres mots, tout ministre voulant faire avancer sa carrière devrait accorder une attention particulière au contenu de sa lettre !

3. Le principe même des lettres de mandat implique un processus de priorisation descendant dans lequel le Bureau du premier ministre dirige l’affaire. D’après Michael Mendelson, « toute l’idée des lettres de mandat est contraire à l’idée du gouvernement de cabinet dans lequel le premier ministre n’est que le premier entre des égaux. Le cabinet est censé fixer les priorités, pas le Bureau du premier ministre. » Quoique, par souci de justesse, M Trudeau est le premier premier ministre canadien à rendre ces lettres publiques. [3]

4. Ce que vous voyez est ce que vous obtenez. Selon Jennifer Robson, ces lettres de mandat particulières « sont rédigées par des fonctionnaires du Bureau du Conseil privé […] mais sont aussi révisées par du personnel politique supérieur pour assurer leur congruence avec les engagements de leur plateforme ou avec d’autres plans ou programmes et servent d’occasion pour bonifier ou ajuster les promesses faites durant la campagne. Avec le gouvernement actuel, les lettres de mandat que nous voyons sont celles à partir desquelles travaillent les ministres et les fonctionnaires — il n’existe pas un deuxième ensemble secret de “vraies” lettres. » [4]

5. La lettre du ministre Hussen contient de nombreuses provisions visant le « refroidissement » du marché immobilier. Par exemple, la lettre demande au ministre de : mettre en vigueur une taxe anti-flip ; interdire temporairement l’achat immobilier par des acheteurs étrangers ; et revoir le traitement fiscal des sociétés de placement immobilier.

6. La lettre demande également au ministre d’aider les ménages à devenir propriétaires de logement. Par exemple, la lettre mandate le ministre Hussen à : améliorer « la protection des consommateurs et de la transparence dans les transactions immobilières, y compris l’interdiction des offres à l’aveugle ; » et « créer un fonds qui mettra à l’essai, concevra et fera croître des projets de location avec option d’achat… »

7. Le ministre Hussen pourrait trouver difficile d’à la fois « refroidir » les prix de vente des maisons tout en recrutant plus de ménages dans le marché immobilier. Après tout, une demande accrue de la part d’acheteurs potentiels augmentera les prix des maisons, voulant dire que ces deux priorités pourraient être contradictoires dans le marché (quoiqu’avoir davantage de ménages propriétaires de logement plutôt que locataires contribuerait à réduire les loyers moyens).

8. La lettre réitère un engagement de campagne à augmenter le financement pour un programme impopulaire. Spécifiquement, la lettre demande au ministre d’« [a]ugmenter le financement du Fonds national de co-investissement pour le logement… » Ce programme est impopulaire parmi plusieurs promoteurs de logements sans but lucratif en raison d’un processus de demande onéreux, des délais trop longs à libérer des fonds une fois approuvés et d’une composante subventionnaire insuffisante (la majorité du financement offert par cette initiative est sous forme de prêts).

9. La lettre du ministre Hussen lui demande de réaliser un engagement de longue date. Spécifiquement, la lettre demande au ministre de « [n]ommer un nouveau défenseur fédéral du logement pour suivre les progrès réalisés à l’égard des objectifs de la Stratégie nationale sur le logement… » Cet engagement fut proposé pour la première fois par les Libéraux Trudeau en 2017.

10. La lettre réitère l’engagement du gouvernement à mettre fin à l’itinérance chronique. C’est comme dire que c’est acceptable d’avoir un peu d’itinérance, mais que personne ne devrait être sans abri pendant trop longtemps (la définition formelle de l’itinérance chronique utilisée par le Gouvernement du Canada est disponible ici.) Je pense que si le gouvernement était sérieux face à cet engagement, il annoncerait une augmentation substantielle du financement permanent pour Vers un chez-soi (le véhicule de financement principal du gouvernement fédéral en matière d’itinérance) et l’Initiative pour la création rapide de logements (qui a du succès à créer du logement permanent pour des personnes vivant de l’itinérance chronique).

En somme. Cette lettre, tout comme la plateforme électorale du Parti Libéral, en dit long sur le besoin de calmer les marchés immobiliers surchauffés, mais très peu sur l’itinérance. Une chose intéressante à noter c’est que la lettre de mandat met beaucoup moins d’emphase que la plateforme électorale sur l’appui des nouveaux acheteurs potentiels à faire leur entrée dans le marché, ce qui pourrait refléter une réorientation des priorités.

Je souhaite remercier les personnes suivantes pour leur appui avec ce billet : Alex Himelfarb, Michael Mendelson, Leslie Pal, Steve Pomeroy, Shayne Ramsay, Sylvia Regnier, Jennifer Robson, Robert Shepherd, Vincent St-Martin, Alex Tétreault et un réviseur anonyme

[1] Correspondance courriel, 17 décembre 2021.

[2] Correspondance courriel, 17 décembre 2021.

[3] D’après Robert Shepherd, render ces lettres publiques fait en sorte que les ministres « soient tenus publiquement responsables pour leur performance vis-à-vis leur contenu. » (Correspondance courriel, 17 décembre 2021 ; soulignement ajouté).

[4] Correspondance courriel, 17 décembre 2021.