Facteurs économiques et sociaux associés à l’utilisation des refuges d’urgence
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Les chercheurs qui tiennent à comprendre les causes de l’itinérance s’intéressent souvent de près aux causes structurelles, c’est-à-dire aux facteurs qui déterminent l’ampleur de l’itinérance dans une région géographique spécifique à un moment donné. Afin de mieux comprendre le contexte canadien, Ali Jadidzadeh et moi-même avons récemment entrepris une analyse statistique (en anglais seulement) au nom d’Infrastructure Canada (l’agence fédérale canadienne chargée de la lutte contre l’itinérance).[1]
Voici 10 points à retenir :
1. Nous avons utilisé les données sur les refuges d’urgence que nous a préparées Infrastructure Canada. Les données, qui couvrent la période de janvier 2012 à décembre 2019, couvrent trois régions, soit l’Ontario, les provinces de l’Atlantique et les provinces de l’Ouest. Infrastructure Canada a pu accéder à ces données grâce aux accords de partage de données qu’elle a mis en place partout au Canada.
2. Infrastructure Canada a veillé à ce que cette recherche soit pertinente pour l’ensemble de la communauté de recherche. Lorsque nous travaillions sur l’analyse statistique, Infrastructure Canada nous a demandé de rédiger un document autonome (en anglais seulement) qui pourrait procurer un aperçu sur la façon de trouver le type de données que nous avions utilisées au cours de notre analyse (notamment les données que nous n’avions pas obtenues d’elle.) Ce document pourrait aider les autres chercheurs qui désirent mener des analyses du même type dans le futur.
3. Une analyse documentaire a également été mise à disposition par l’entremise du projet. Cette analyse examine les causes de l’itinérance et pourrait également servir de ressource pour les autres chercheurs (l’analyse documentaire est disponible ici en anglais seulement).
4. Conformément à la littérature, nous avons constaté que les coûts élevés des logements locatifs sont liés à une augmentation de l’itinérance. Plus précisément, nous avons trouvé qu’une augmentation de 1 % du loyer réel des logements abordables (c.-à-d. le premier quartile du loyer réel) est associée à une augmentation de 1,36 % et de 2,47 % du nombre total d’admissions dans les refuges d’urgence en Ontario et dans les provinces de l’Ouest, respectivement.
5. Les niveaux des prestations d’aide sociale (c.-à-d. le montant d’argent que reçoivent les bénéficiaires) sont importants dans le cadre de l’itinérance. Par exemple, notre étude a montré qu’une hausse de 1 % des niveaux réels des prestations d’aide sociale engendre une baisse d’environ 2 % du nombre total des admissions dans les refuges d’urgence pour sans-abri en Ontario et dans les provinces de l’Atlantique.
6. De longues périodes de chômage sont liées à une augmentation de l’utilisation des refuges d’urgence. En Ontario, la longueur de la période de chômage a une incidence positive et importante sur le nombre total des admissions. Lorsque la durée du chômage augmente de 1 % en Ontario, le nombre total des admissions augmente de 0,157 % (toutes les autres variantes restant constantes).
7. Cela peut sembler surprenant pour certains, mais un salaire minimum plus élevé est lié à une plus grande utilisation des refuges d’urgence. Le salaire minimum réel présente une relation positive et statistiquement significative en Ontario et dans les provinces de l’Atlantique. Lorsque le salaire minimum augmente de 1 % dans ces régions, le total des admissions dans les refuges d’urgence augmente de 0,449 % et de 2,102 % en Ontario et dans les provinces de l’Atlantique, respectivement. Il est possible que les taux de salaire minimum augmentent au cours des périodes de forte croissance économique, exactement au moment où les taux locatifs sont plus élevés (et lorsqu’il y a moins de disponibilité de logements à loyer modéré).
8. Il est clair que le contexte régional est important et ce, pour une variété de raisons. Dans certains cas, cela peut être le résultat de l’agrégation des données. Par exemple, les données des régions de l’Ouest et de l’Atlantique ont dû être agrégées. Bien que les données sur les refuges pour adultes seuls sont disponibles pour l’Ontario et les provinces de l’Atlantique, les données pour les provinces de l’Ouest comprennent des agrégats tant pour les adultes seuls que les familles.
9. L’analyse même (c.-à-d. le rapport intégral) fournit des désagrégations selon les types de ménages. Cela comprend des ventilations pour les adultes seuls sans personnes à charge (âgés de 25 ans et au-delà), les familles et les jeunes (âgés entre 16 et 24 ans).
10. Notre analyse a recherché l’association et non le lien de causalité. En d’autres termes, bien que les facteurs associés à une plus grande utilisation des refuges d’urgence peuvent avoir causé une plus grande utilisation des refuges, le lien de causalité aurait aussi pu se produire dans l’autre sens (c.-à-d. une utilisation plus élevée des refuges aurait pu être la cause de l’association). Parallèlement, un facteur externe qui n’a pas été pris en compte dans notre modèle peut avoir été la cause réelle du phénomène en question (rappelons le paragraphe 7 ci-dessus ayant trait au salaire minimum).[2]
En résumé. L’approche collégiale d’Infrastructure Canada en ce qui a trait au partage des données nous a permis d’entreprendre cette analyse importante, cette dernière ayant déterminé que les facteurs suivants peuvent nous aider à mieux comprendre ce qui peut influencer une plus grande utilisation des refuges d’urgence au Canada : facteurs liés au marché locatif; assistance sociale; longueur de la période de chômage; et salaire minimum.
Je tiens à remercier Ali Jadidzadeh, Sylvia Regnier et Annick Torfs pour leur aide dans la préparation de ce billet de blogue.
[1] Le 10 juin 2024, Infrastructure Canada a été rebaptisée Logement, Infrastructures et Collectivités Canada.
[2] De manière générale, les chercheurs qui se montrent attentifs doivent faire preuve de prudence lorsqu’ils utilisent le terme « causalité ». Dailleurs, il existe des tensions de longue date dans le domaine des disciplines académiques concernant le choix des approches méthodologiques nécessaires pour l’établir.